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Clarisse Benk

Clarisse Benk

En procès :

À Toulouse (31) – le 20/11/2019

TĂ©moignage :

Comment pardonner alors aux dirigeant·es politiques, aux dominant·es, aux gĂ©nĂ©rations passĂ©es qui se sont gavé·es et qui ont semĂ© – non des graines fertiles, mais bien le vent et la tempĂŞte ? Alors qu’on nous nourrissait de grands idĂ©aux rĂ©publicains et qu’on nous prĂ©parait Ă  ĂŞtre de futur·es citoyen·nes/consommateurs·trices modèles et obĂ©issant·es, on anĂ©antissait de l’autre cĂ´tĂ© tout espoir de paix, de justice sociale et climatique, de respect du vivant, Ă  coups d’extractivisme forcenĂ© des ressources naturelles et des Ă©nergies fossiles, de politiques ultra-libĂ©rales – on bradait tout ce qui nous compose, tout ce dont on a besoin, tout ce qui nous fait vivre.

“J’espère que tu seras reconnue coupable et condamnée”.

Ces mots, je les ai reçus Ă  plusieurs reprises depuis l’annonce de ma convocation au tribunal. Le 20 novembre, je comparaĂ®trai aux cĂ´tĂ©s de mes camarades d’ANV Action non-violente COP21, Alice et Virgile, au Tribunal Correctionnel de Toulouse, pour “vol” et “refus de prĂ©lèvement ADN”… pour avoir dĂ©crochĂ© un portrait d’Emmanuel Macron d’une mairie de l’ouest toulousain. Quelle drĂ´le d’idĂ©e ! “Que diable allais-tu faire dans cette galère”, tu me diras. “Ha, elle est bien belle la jeunesse d’aujourd’hui ! Plus aucun respect !” Eh bien non, justement. Le respect du vivant est mort, le respect des populations est une espèce Ă©teinte, le respect des gĂ©nĂ©rations futures est en train d’être bafouĂ©.
Je m’explique.

Il y a des moments de vie que j’ai hâte de goĂ»ter. Des aventures de toute taille, des histoires de routes, de rencontres, de dĂ©cisions – et puis aussi des Ă©pisodes moins “grandioses” : petite, je rĂŞvais dĂ©jĂ  du moment oĂą je serai une grand-mère ! Il faut dire que j’ai eu de sacrĂ©es modèles. La retraite tranquille, le temps consacrĂ© aux petites choses belles du quotidien et aux autres grandes choses de la vie, la sagesse des annĂ©es, la malice au coin des yeux, la douceur mĂ©lancolique, le chagrin aussi, le poids et la chaleur des souvenirs forgĂ©s, le corps-Ă©corce, le corps-tĂ©moignage… Si j’estime Ă  ce point cet âge, c’est peut-ĂŞtre un peu par naĂŻvetĂ©, oui, mais aussi pour l’émerveillement d’un ĂŞtre qui a bien vĂ©cu. Tu t’imagines, vieux/vieille, contempler tout ce que tu as traversĂ©, te repasser les visages des ĂŞtres aimĂ©s et te sentir repu·e de toute cette vie ? Ça donne faim, non ?

Sauf que depuis quelques annĂ©es, cette vision est abĂ®mĂ©e – et sĂ©rieusement compromise – par d’autres constats, plus noirs. Le chaos climatique rampant auquel nous promet notre chère sociĂ©tĂ© thermo-industrielle, impĂ©rialiste et insatiable, a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© bien trop dĂ©crit par la communautĂ© scientifique. Depuis plus de 50 ans, on nous alerte sur l’affolement du dĂ©règlement climatique, sur notre rapport consumĂ©riste au vivant, Ă  la terre. La cupiditĂ© du joug capitaliste, l’appropriation et la mise sur le marchĂ© de ce qui rend notre planète belle, touchante, source d’émerveillement, nous mènent Ă  notre perte. Et la note est salĂ©e ! J’ai grandi avec l’illusion du “dĂ©veloppement durable”, transmise sur les bancs de l’école rĂ©publicaine.

Et puis un jour j’ai été percutée par une toute autre réalité : un compte à rebours s’était enclenché à mon insu, nos chances de maintenir le réchauffement climatique sous un seuil propice au déploiement de la vie sur Terre s’amenuisaient à mesure que des crimes “climaticides” étaient perpétrés en toute impunité, et que l’inaction politique primait. Allez, je mets quelques chiffres, parce que ça fait plus sérieux. En 2018, les émissions de gaz à effet de serre françaises ont été de nouveau à la hausse (+ 2,7°C) et la liste de projets et politiques toxiques pour le climat ne cesse de s’allonger.
DĂ©jĂ , nous assistons Ă  une extinction massive de la biodiversitĂ©. 60 % des populations des animaux vertĂ©brĂ©s en quarante ans ont disparu, 75 % des insectes en trente ans, 30 % des oiseaux des champs, la moitiĂ© des animaux marins. Canicule, incendies dĂ©vastateurs, dĂ©veloppement de maladies tropicales, on peut dĂ©jĂ  promettre que le monde de l’après-2050 ne ressemblera en rien Ă  celui d’aujourd’hui. 
Sans se projeter dans un scĂ©nario Ă  la Mad Max, il faut se rendre Ă  l’évidence : la machine est dĂ©jĂ  en marche et nous promet un avenir radi…oactif.

Alors, comment savourer cette impatience de la vieillesse, lorsque l’horizon semble bouchĂ©, que l’allure des 30 prochaines annĂ©es est plus que troublĂ©e, sinon incertaine ? Vais-je vraiment pouvoir connaĂ®tre cette pĂ©riode de vie en paix, ou dois-je tout conjuguer au prĂ©sent ? Quel rapport au temps, Ă  la vie pouvons-nous embrasser dès lors qu’une Ă©pĂ©e de Damoclès nous menace toutes et tous ? 
Je m’interroge vraiment : comment estimer le rapport Ă  la spontanĂ©itĂ©, aux rĂŞves, Ă  l’anticipation, si mĂŞme ce droit Ă  l’errance est compromis ? J’ai envie de dĂ©fendre, Ă  l’instar de VĂ­ctor Jara, ce “derecho a vivir en paz” (le droit de vivre en paix). Ă€ l’instar d’une “rĂ©forme” de nos modes de vie (plus responsables, plus sobres, plus Ă©thiques, plus sensĂ©s, plus solidaires, etc.), devons-nous Ă©galement revoir nos aspirations intimes, inscrites dans nos chairs et dans nos tĂŞtes, Ă  la baisse ? 
Comment pardonner alors aux dirigeant·es politiques, aux dominant·es, aux gĂ©nĂ©rations passĂ©es qui se sont gavé·es et qui ont semĂ© – non des graines fertiles, mais bien le vent et la tempĂŞte ? Alors qu’on nous nourrissait de grands idĂ©aux rĂ©publicains et qu’on nous prĂ©parait Ă  ĂŞtre de futur·es citoyen·nes/consommateurs·trices modèles et obĂ©issant·es, on anĂ©antissait de l’autre cĂ´tĂ© tout espoir de paix, de justice sociale et climatique, de respect du vivant, Ă  coups d’extractivisme forcenĂ© des ressources naturelles et des Ă©nergies fossiles, de politiques ultra-libĂ©rales – on bradait tout ce qui nous compose, tout ce dont on a besoin, tout ce qui nous fait vivre.

Ă€ ce crime contre les rĂŞves, j’en ajoute un autre, bien plus grand : celui du mĂ©pris – ce mĂ©pris jetĂ© Ă  la figure de celles et ceux qui pâtissent dĂ©jĂ  bien assez trop de nos caprices occidentaux, de celles et ceux qui sont Ă©crasé·es par la machine implacable d’un système injuste et glouton. 
Ce mĂ©pris, les membres de nos classes politiques et les dominant·es excellent dans l’art de le diffuser sous plusieurs formes : une taxe carbone injuste socialement et qui ne finance pas la transition, dĂ©tournĂ©e pour au contraire faire des cadeaux fiscaux aux plus riches ; la suppression de l’impĂ´t sur la fortune (ISF) et l’allĂ©gement de la fiscalitĂ© sur les revenus du patrimoine ; la toute fraĂ®che rĂ©forme de l’assurance chĂ´mage qui promet dĂ©jĂ  bien des ravages ; la rĂ©pression d’Etat et la criminalisation des militant·es ; la violence lĂ©gale exercĂ©e contre les populations racisĂ©es ; la rĂ©ponse faite Ă  l’Affaire du Siècle, pĂ©tition aux 2 millions de signataires snobĂ©e par le gouvernement français ; la prĂ©caritĂ© constante, la domination de toutes ces petites mains qui travaillent nuit et jour Ă  assouvir les besoins de la classe dominante, l’usure insolente des corps des travailleurs·ses ; l’indĂ©cence des ultra-riches quand l’insĂ©curitĂ© sociale prime ; le remarquable travail de sape de toutes les initiatives de la population pour protĂ©ger le vivant et construire des modèles alternatifs rĂ©silients […]. 
Ce mépris me fait gerber.

Et “en mĂŞme temps”, alors que les injustices climatiques et sociales font des ravages, les vrais coupables, par leur inaction et leur ir-responsabilitĂ©, poursuivent leurs Ĺ“uvres, en toute impunitĂ©. Les accords de Paris, signĂ©s Ă  la COP21 en 2015, bien qu’insuffisants pour saper radicalement le dĂ©règlement climatique, ont engagĂ© a minima les gouvernements Ă  prendre certaines mesures – le “minimum syndical de l’action climatique”, pourrait-on dire. 
Or, aujourd’hui, le premier budget carbone (2015-2018) n’est pas respectĂ©. Le gouvernement prĂ©voit de ne pas respecter le second non plus (2019-2023) : ce qui signifie que Macron fait le choix de ralentir sur le climat pendant tout son mandat. Et pendant ce temps, le gouvernement donne le feu vert Ă  plusieurs projets climaticides (forages en Guyane, autorisation donnĂ©e Ă  Total d’importer jusqu’à 550 000 tonnes d’huile de palme Ă  la Mède – un volume qui va faire bondir les importations françaises de 64%), contournements autoroutiers, etc.), la France continue de subventionner les Ă©nergies fossiles (12 milliards d’euros de subventions publiques aux Ă©nergies fossiles en 2019), les niches fiscales qui profitent aux secteurs très polluants que sont le transport routier et l’avion (absence de taxe sur le kĂ©rosène) ont coĂ»tĂ© 8,5 milliards en 2018 selon le RĂ©seau Action Climat.
Aujourd’hui, 100 grandes entreprises sont responsables de 70% des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre mondiales. Il est temps de rĂ©guler leurs activitĂ©s pour protĂ©ger l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral et non leurs dividendes.
Aujourd’hui, et depuis la COP21, les banques françaises financent Ă  hauteur de 124 milliards d’euros les Ă©nergies fossiles. 
Aujourd’hui, la France est en retard sur la rénovation énergétique et sur ses objectifs climatiques. On dénombre plus de 7 millions de passoires énergétiques à l’origine d’une forte pollution et de factures de chauffage très élevées.
Aujourd’hui, le projet de loi sur la mobilité (LOM) fait toujours la part belle au tout voiture.
Aujourd’hui, la loi alimentation a échoué à réformer en profondeur notre système agricole.
Aujourd’hui, la stratégie nationale sur la déforestation importée ne comprend aucune mesure contraignante.
Aujourd’hui, il manque au moins 30 milliards par an d’argent public pour atteindre les objectifs de transition climatique.
Aujourd’hui, on est dans la méga merde.

Et ça, tout le monde (ou presque – #BalanceTonTrump) s’en rend compte. Mais il ne s’agit plus d’éveiller les consciences ou de sensibiliser : nous devons nous mobiliser contre ces injustices criantes et exiger que les personnes qui dĂ©tiennent le pouvoir changent radicalement de cap pour limiter la casse.

Quand tous les recours lĂ©gaux ont Ă©tĂ© Ă©puisĂ©s, que l’urgence persiste et que les lois protègent celles et ceux qui sont coupables d’inaction, je ne peux pas rester sagement les bras croisĂ©s – tandis que la trouille m’envahit, la trouille de la catastrophe qui ne fait que s’amorcer – j’assume toutes les actions (lĂ©gales et illĂ©gales) menĂ©es pour (r)Ă©veiller les consciences et dĂ©noncer la supercherie. 
Cette action de dĂ©crochage de portrait est pour moi, pour nous, lĂ©gitime : quand les cadres lĂ©gaux qui sont Ă  notre portĂ©e ne suffisent plus, il nous faut dĂ©sobĂ©ir. Nous avons marchĂ©, signĂ© des pĂ©titions, fait du plaidoyer auprès de nos Ă©lu·es, espĂ©rĂ©… et puis on en a marre en fait, on n’a plus le temps. Le risque d’avoir un casier judiciaire ou une amende m’effraie nullement comparĂ© aux risques de conflits pour l’eau et la nourriture, d’exil climatique, d’abandon des rĂŞves d’une vie sans histoire, d’abandon des populations dĂ©jĂ  prĂ©caires et opprimĂ©es face au chaos climatique qui va les affecter en premier, etc.

En participant Ă  des actions de dĂ©sobĂ©issance civile non-violentes, comme dans le cadre de la campagne #DĂ©crochonsMacron, je revendique une inventivitĂ© militante et je dĂ©nonce la lĂ©thargie contagieuse de l’acceptation de l’inacceptable. Et parce qu’en Ve RĂ©publique, c’est le prĂ©sident de la RĂ©publique qui gouverne, qui tranche, arbitre, prend les dĂ©cisions cruciales pour le climat. C’est donc aussi lui qui porte la responsabilitĂ© morale de l’inaction actuelle.
Décrocher Macron n’a pas fait chuter le taux d’émissions de gaz à effets de serre, hélas. Mais peut-on reprocher à quelqu’un d’avoir subtilisé un extincteur pour tenter d’éteindre un feu, même si son action ne change rien ? Tout comme des centaines d’autres activistes et 58 autres militant·es en procès, j’ai décroché Macron pour (re)lancer l’alerte, dénoncer les beaux discours d’un président à la “Make The Planet Great Again” et redécorer mon salon. (Je plaisante, c’est pour voir si tu suivais)

Je suis convoquée le mercredi 20 novembre au Tribunal Correctionnel de Toulouse, à 8h30 et j’encours 75 000€ d’amende et 5 ans de prison.
Mais j’encours, on encourt surtout une extermination de masse du vivant sur Terre, et l’étouffement de nos rêves, de nos souffles.

Le 20 novembre, j’assumerai mes actes et prĂ©senterai Ă  la justice mes peurs, mes nuits blanches Ă  ressasser la merde dans laquelle on se trouve (et dans laquelle on a placĂ© plein d’ĂŞtres vivants qui n’avaient vraiment rien demandĂ©), mais aussi ma colère et la rage qui m’anime, la rage de voir les responsables impunis, les personnes Ă©lu·es qui poursuivent leurs politiques mortifères et la rage de voir ce monde mourir.

Le 20 novembre, nous ferons le procès de l’inaction climatique et sociale du gouvernement.

“J’espère que tu seras reconnue coupable et condamnée”.
Eh bah tu sais quoi ? MĂŞme pas peur.

A toi de jouer ! Tu peux :
???? RĂ©ponse A : partager ce tĂ©moignage
???? RĂ©ponse B : nous soutenir par quelque monnaie sonnante et trĂ©buchante : frama.link/soutien-decrocheurs
???? RĂ©ponse C : rejoindre la mobilisation le 20/11 : 
https://www.facebook.com/events/1401728946651296/ 
???? RĂ©ponse D : la rĂ©ponse D