Vincent Lombard
En procès :
À Orléans (45) – le 13/09/2019
Témoignage :
Je me suis mis à ne plus croire en ce pacte social, passé implicitement avec l’Etat et censé garantir l’intérêt général et notre protection, que notre gouvernement bafoue de plus en plus chaque jour. J’ai éprouvé le besoin de ne plus suivre servilement l’invitation du système nous conduisant à manifester notre désaccord dans un cadre de plus en plus réduit et bien inoffensif.
En septembre, je ferai face à la justice pour la première fois.
Je m’appelle Vincent, j’ai 31 ans. Le 13 septembre prochain, comme mes deux co-prévenu·e·s Franzeska et Samuel, je suis convoqué en procès au tribunal de grande instance d’Orléans où je risque jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Pourquoi ? Parce que le 2 mars dernier, j’ai participé à une action de désobéissance civile en réquisitionnant un portrait d’Emmanuel Macron dans une mairie afin de dénoncer l’inaction politique du gouvernement face au péril climatique et à l’urgence sociale.
Je vous rassure, on ne se lève pas un jour de son lit en se disant « Et si aujourd’hui j’allais réquisitionner le portrait du Président ?». Avant d’exiger des transformations, je suis passé tout d’abord par des changements personnels dans mon quotidien, en accomplissant des écogestes, en cultivant un potager, en signant des pétitions… Et j’ai commencé à mesurer l’ampleur du défi de notre siècle.
J’ai remarqué, lorsque j’étais animateur en centre de loisirs, le nombre toujours plus important d’enfants touchés par des allergies, de l’asthme ou des cancers, tout cela dû à la pollution et aux produits chimiques. J’ai vu « ma » Loire et son bassin loirétain souffrir de plus en plus du dérèglement climatique, en attendant peut-être d’être mutilés par un projet de pont inutile et destructeur. J’ai compris que plus largement des besoins vitaux tels que l’alimentation, l’eau ou encore le logement seront difficiles d’accès d’ici quelques années. Je me suis imaginé vivre en 2050 avec des pics de chaleur approchant les 50 degrés en France. J’ai pris conscience que je ferais sûrement partie de ces centaines de millions de migrants climatiques à venir. Je me suis rendu compte que nous étions entré·e·s dans la 6ème extinction de masse. Je me suis demandé comment mes jeunes cousins et les enfants de mes ami·e·s survivront à cet effondrement de nos conditions de vie civilisée sur Terre.
Bien que nécessaires, j’ai réalisé que ces actions individuelles n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu, et que je me sentais bien seul face à l’ampleur de la tâche. J’ai alors voulu agir collectivement et j’ai croisé notamment la route d’Alternatiba. J’y ai rencontré ces citoyen·ne·s qui chaque jour prouvent qu’une société plus respectueuse et soutenable est possible. J’ai voulu moi aussi à mon échelle mettre en lumière ces alternatives en participant notamment à l’organisation de marches pour le climat et à l’élaboration de doléances citoyennes. Mais j’ai constaté que notre système politique et économique ne voyait lui aucune alternative au mythe de la croissance infinie.
Cette alliance toxique entre nos responsables politiques et les multinationales les plus pollueuses détruisant la planète et sapant la démocratie m’est devenue insupportable. J’ai été sidéré de voir la réponse inacceptable du gouvernement donnée aux 2 millions de personnes signataires de l’Affaire du Siècle, ce recours en justice déposé par 4 ONG françaises contre l’État pour inaction climatique. J’ai été effaré de l’hypocrisie de nos politiques, capables de parler d’écologie tout en votant des accords commerciaux de libre échange tels que le CETA. J’ai été révolté d’entendre toujours parler des premiers de cordée, ceux qui polluent le plus et qui s’enrichissent à n’en plus finir, laissant les principaux efforts d’une transition injuste peser sur les derniers de cordée, celles et ceux qui n’ont même pas déjà de quoi finir le mois et qui polluent bien moins. Je me suis senti privilégié lorsque je suis allé à la rencontre de cette tranche jusqu’alors silencieuse de la population, ces abandonné·e·s de la mondialisation, ces éloigné·e·s des grandes villes concentrant tous les pouvoirs et les quelques services publics restants, ces perdant·e·s d’une politique fiscale et sociale injuste.
Je me suis mis à ne plus croire en ce pacte social, passé implicitement avec l’Etat et censé garantir l’intérêt général et notre protection, que notre gouvernement bafoue de plus en plus chaque jour. J’ai éprouvé le besoin de ne plus suivre servilement l’invitation du système nous conduisant à manifester notre désaccord dans un cadre de plus en plus réduit et bien inoffensif.
Mes lectures des écrits d’Henry-David Thoreau, père de la désobéissance civile, me sont alors revenues en mémoire. Je me suis rappelé qu’une démocratie exige des citoyens responsables, et non des personnes disciplinées. J’ai depuis participé et organisé plusieurs actions de désobéissance civile non-violentes avec ANV-COP21 et même mené des formations. Dans ce collectif, j’ai pu par ailleurs expérimenter une manière d’agir plus démocratique, bienveillante, inclusive et solidaire. Comme rarement dans ma vie, j’ai eu le sentiment d’appartenir à un véritable groupe.
Parce que j’ai peur de l’avenir mais que j’ai la rage d’agir, ce 2 mars 2019 j’ai décidé d’endosser avec mes ami·e·s le rôle de lanceur d’alerte, et de faire de notre convocation au tribunal une tribune pour prendre l’opinion public à témoin de la justesse de notre cause. J’ai fait cela en étant conscient des risques encourus, quitte à risquer une amende et de la prison ainsi que de perdre une partie de mes libertés.
Je reconnais qu’il n’y a rien de réjouissant à cela et que je n’en finis pas de me rendre compte des conséquences indirectes d’un tel acte. Mais cela m’effraye moins que le chaos qui nous attend, et je reste déterminé. Parce que je ne veux pas que ma génération et les suivantes voient leur avenir sacrifié sur l’autel du profit et du libre marché. Parce que je ne peux envisager le futur dans une société qui n’a plus de sens ni d’avenir. Parce que je crois que résister et expérimenter ensemble des organisations plus résilientes et solidaires est notre seule assurance-vie face à un modèle de société voué au suicide. Parce je me suis rarement senti aussi vivant depuis que j’ai décidé de tenir tête et préféré la joie de l’action collective à la résignation et la soumission. Parce qu’il n’y aura tout simplement pas d’autres sauveurs que nous-mêmes face à ce système capitaliste nous menant droit à notre perte.
Ce vendredi 13 septembre, nous aurons besoin d’un maximum de soutiens. Nous avons besoin de toi. Alors, choisis la/les forme(s) de soutien dont tu as envie !
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