Franzeska Bindé 💬

Franzeska Bindé

En procès :

Ă€ OrlĂ©ans (45) – le 13/09/2019

TĂ©moignage :

De mon vivant, les cris des scientifiques sont devenus de plus en plus stridents et les effets palpables, pendant que l’inaction des dirigeants n’a cessĂ© de devenir plus dĂ©calĂ©e et effrayante. La gravitĂ© de la situation dĂ©crite par les scientifiques et la temporalitĂ© dans laquelle tout se joue, de quelques annĂ©es seulement, me sont Ă  peine imaginables. Un battement de cils mĂŞme Ă  l’échelle insignifiante d’une vie humaine. Or, pour limiter les dĂ©gâts et s’adapter collectivement – tout doit changer. 

Que ferais-tu si tu savais que ton monde approchait de sa fin ?

Le 2 mars, avec douze autres citoyennes et citoyens, j’ai décroché un portrait de Macron dans une action non-violente, dénonçant le vide de sa politique climatique et sociale.
Le 13 septembre, avec Samuel et Vincent, je suis en procès pour « vol en réunion » et risque jusqu’à 5 ans de prison et 75 000€ d’amende.

DĂ©jĂ  Ă  l’école nous avons parlĂ© du « changement climatique », comme phĂ©nomène physique qui est politiquement connu et se discute lors de confĂ©rences internationales. J’avais 11 ans. J’en ai 26 maintenant et j’ai pu constater que le monde continue de tourner de travers. Comme beaucoup de personnes de mon âge, j’aime rire avec mes ami-es, m’intĂ©resser Ă  plein de choses et apprendre, regarder l’horizon, ĂŞtre en famille, ĂŞtre tranquille chez moi devant un film. Mais depuis plusieurs annĂ©es maintenant, je ressens que dans mon petit monde, d’espoirs et de soucis quotidiens, s’impose la rĂ©alitĂ© de notre gĂ©nĂ©ration : la fin du monde tel que nous le connaissons est non seulement dĂ©crite mais datĂ©e pour les quelques dĂ©cennies Ă  venir par un consensus de scientifiques au niveau mondial. 

Depuis toute petite, je me soucie de ce qui m’entoure, fais des efforts dans ma vie personnelle en recherche de cohérence (ne pas gaspiller, moins puis plus de viande du tout, acheter en vrac et davantage de bio) – et de plus en plus, par certitude qu’il y a urgence d’agir. Mais je sais que ces gestes ne suffisent pas.
Pendant que je choisis d’avoir soif plutĂ´t que d’acheter une bouteille en plastique, d’autres appuient sur l’accĂ©lĂ©rateur : Ă©laborent TAFTA, CETA et APE (colonialisme 2.0), forent du pĂ©trole en eaux profondes, regardent les noyades en MĂ©diterranĂ©e via satellite et ferment des hĂ´pitaux. C’est notre système qui marche sur la tĂŞte – un sentiment qui s’est renforcĂ© en moi par une sĂ©rie de prises de conscience, fissurant la confiance profonde que le monde serait tout de mĂŞme en ordre, que chacun faisait sa part dans un système organisĂ© et sensĂ©. Et ces fissures, j’ai essayĂ© de les combler par l’action collective.

La catastrophe de Fukushima, emblématique de l’idéologie de croissance de “technologie-sauveuse”, était l’occasion pour moi de prendre ma carte chez les Verts allemands. Je pense toujours que le travail au sein d’un parti et des structures de la politique institutionnelle importe énormément et est complémentaire à d’autres types de mobilisation mais face à l’urgence, je n’ai personnellement plus la patience de penser en rythmes électoraux. En 2014, quand les impacts de la crise de solidarité en Europe sont arrivés jusqu’en Bavière, je me suis mise à militer pour les droits aussi fondamentaux que d’avoir une vie digne ici peu importe le bout de papier édité à la naissance.

J’ai rejoint Alternatiba en janvier 2018 et j’étais enthousiaste de dĂ©couvrir un mouvement politique, radical, inclusif et organisĂ©, combinant comme une Ă©vidence climat et questions sociales. Ă€ OrlĂ©ans, nous avons accueilli joyeusement le Tour Alternatiba, organisĂ© plusieurs Ă©vĂ©nements de sensibilisation et co-organisĂ© plusieurs marches pour le climat. Plein d’alternatives existent dĂ©jĂ  et ont fait leurs preuves, permettant de construire une sociĂ©tĂ© soutenable et mĂŞme dĂ©sirable, basĂ©e sur les liens et la solidaritĂ© d’une communautĂ© renforcĂ©e. Mais Ă  l’automne dernier, avec le dernier rapport du GIEC couplĂ© avec celui de B&L Ă©volutions, j’ai compris l’ampleur de l’urgence : nous n’avons plus aucune minute Ă  perdre, et c’est une question de vie ou de mort dès notre gĂ©nĂ©ration. 

En fait, j’aurais pu le savoir depuis longtemps – si j’avais voulu l’accepter. De mon vivant, les cris des scientifiques sont devenus de plus en plus stridents et les effets palpables, pendant que l’inaction des dirigeants n’a cessĂ© de devenir plus dĂ©calĂ©e et effrayante. La gravitĂ© de la situation dĂ©crite par les scientifiques et la temporalitĂ© dans laquelle tout se joue, de quelques annĂ©es seulement, me sont Ă  peine imaginables. Un battement de cils mĂŞme Ă  l’échelle insignifiante d’une vie humaine. Or, pour limiter les dĂ©gâts et s’adapter collectivement – tout doit changer. 
Sans brĂ»ler du pĂ©trole et livrĂ©-es Ă  un climat d’extrĂŞmes , comment allons-nous faire pour nous nourrir, nous, majoritairement citadin-es dans une sociĂ©tĂ© de services numĂ©riques ? Comment nous soigner, nous sentir en sĂ©curitĂ©, comment garantir des minimas sociaux, palier malgrĂ© tout aux inĂ©galitĂ©s et lutter contre les discriminations ? DĂ©jĂ  dans un monde oĂą le hĂ©risson, animal pataud, inoffensif et adorable par son apparente trivialitĂ©, risque l’extinction, oĂą les papillons disparaissent et les oiseaux se taisent, comment Ă©lever des enfants avec l’optimisme et la joie de vivre dont ils ont besoin pour grandir ? Et pour vivre dans quel monde ? 

Tellement de temps a Ă©tĂ© perdu dĂ©jĂ , et beaucoup est dĂ©jĂ  perdu Ă  jamais. La terre se rĂ©chauffe, nous avons dĂ©passĂ© les +1°C et vivons les premiers impacts effrayants (vous avez vu la Loire ce mois-ci ? Ou les forĂŞts en souffrance ?), des espaces de vies d’humain-es et d’animaux se perdent et se rĂ©trĂ©cissent. Les consĂ©quences nĂ©fastes de l’ère des fossiles et de l’économie capitaliste s’imposent jusque dans l’espace, dans les eaux les plus profondes et dans la glace « Ă©ternelle » de l’Arctique. MĂŞme avec tous les efforts que nous pouvons encore mettre en place, notre gĂ©nĂ©ration va devoir s’habituer de voir des trĂ©sors naturels pĂ©rir Ă  jamais et aux rĂ©ponses Ă  apporter Ă  des millions de personnes lorsque des territoires entiers deviennent inhabitables. 

Moi ça me fait flipper.

Et ces constats, une fois acceptĂ©s, me font vivre des dĂ©calages ahurissants avec des Ă©lĂ©ments quotidiens devenus surrĂ©alistes – la pub pour des SUV, les vols low-cost des ami-es Ă  l’autre bout du monde ou de courte distance en Europe, les scenarii de croissance et de supertechnologie en 2050 comme les avions-taxi, etc. 

Quel pourrait ĂŞtre mon rĂ´le, en tant que membre de cette gĂ©nĂ©ration si fatidique pour l’humanitĂ© ? Nous sommes les dernier-es Ă  avoir encore des leviers d’action Ă  notre portĂ©e pour empĂŞcher ou alors accĂ©lĂ©rer un emballement climatique – la fenĂŞtre pour agir est en train de se fermer Ă  jamais. Et nous sommes les premiers Ă  en vivre les consĂ©quences. Pire : des millions de personnes sont menacĂ©es dĂ©jĂ  par des catastrophes climatiques, et nos pays occidentaux en sommes coupables – ce qui se traduit pour moi par une responsabilitĂ© historique supplĂ©mentaire Ă  limiter encore les dĂ©gâts.

Une formation à l’action non-violente en juin dernier m’a montré un outil nouveau pour moi : faisons irruption, « dérangeons l’orchestre du Titanic ». Tout en respectant les personnes dans une attitude 100 % non-violente, la désobéissance civile me permet de sonner l’alerte d’une façon qui est plus difficile à ignorer. Avec ces deux jambes du mouvement, alternatives et résistances, essayons de construire le monde de demain tout en résistant à ce qui détruit notre vie à tou-tes et celle de toutes les générations à venir. Dans un mouvement solidaire et non-violent, nous faisons de notre mieux pour préparer demain.

Le 2 mars, j’ai décroché un portrait de Macron. Macron dont la politique actuelle nous mène vers un réchauffement planétaire de +4°C, donc un monde voué au chaos, aux guerres et à la faim. Macron qui se vante champion du climat.
Cette photo qui vaut 9,90€ et qui n’est ni obligatoire, ni nécessaire au bon fonctionnement d’une mairie, m’a valu une garde à vue de 9h, une perquisition et un procès pour vol en réunion.

Dans un monde au bord du gouffre embrouillé par les beaux discours, elle est peut-être là, ma place : à la sonnette d’alerte, et s’il le faut, au tribunal.

J’ai besoin de ton soutien !

Tu peux :
– partager ce tĂ©moignage
– venir Ă  OrlĂ©ans pour notre procès et la grande journĂ©e de mobilisation le 13 septembre, Procès de l’inaction climatique et sociale #DĂ©crochonsMacron
– nous soutenir financièrement ici : https://framaclic.org/h/anvcop21orl-don
– rejoindre ANV-COP21, Alternatiba ou un autre collectif dĂ©fendant l’avenir sur terre